«En six ans, la situation du patrimoine vaudois a empiré»
La chercheuse remet les rênes de la section vaudoise de Patrimoine suisse. Elle tire un bilan contrasté de la protection de nos vieilles pierres.
Publié: 12.04.2023, – 24 Heures – ©Florian Cella/24H
Béatrice Lovis a incarné pendant six ans la défense du patrimoine vaudois, avec un accent de plus en plus marqué vers le patrimoine vernaculaire, le plus menacé selon elle.
L’historienne de l’art a débarqué à Patrimoine suisse au lendemain de deux affaires dont le souvenir résonne encore chez les défenseurs des vieillies pierres: la vente du mobilier du château d’Hauteville et l’affaire de la muraille d’Avenches menacée par un projet de grande surface Ikea. Béatrice Lovis remet à la députée socialiste Muriel Thalmann son titre de présidente de la dynamique section vaudoise six ans plus tard. Au lendemain d’une défaite retentissante face à la reconversion d’un îlot vigneron à Blonay.
La défense du patrimoine, ça ne s’arrête jamais?
Disons que quand j’ai commencé, notre commission technique, qui surveille les mises à l’enquête, déposait environ quinze oppositions par an. Elle en est à une cinquantaine, sur les 400 dossiers étudiés, sans compter les séances de conciliation. Notre activité suit plutôt une courbe exponentielle.
Ce n’est pas votre sensibilité qui augmente?
Probablement aussi. Nous faisons de plus en plus attention au patrimoine industriel ou du XXe. Mais il y a surtout la pression immobilière provoquée par la LAT. La conséquence, c’est une densification qui entraîne beaucoup de destructions dans les centres. S’y ajoute l’énorme pression pour isoler énergétiquement les bâtiments, trop souvent au détriment de leur qualité architecturale.
La révision de la loi sur la protection du patrimoine devait pourtant améliorer les choses…
Disons que cette loi a évité le pire. Mais l’énorme retard du recensement architectural du canton n’aide pas les communes à mieux protéger leur patrimoine. Résultat: un nombre important de bâtiments passent sous les radars et sont détruits ou dénaturés. Les communes ont elles-mêmes du retard dans la révision de leurs plans d’affectation et souvent leurs règlements n’ont pas encore intégré des mesures de protection de leur patrimoine local ou une notion aussi fondamentale que l’ISOS. Certaines communes méritent de vrais bonnets d’âne, d’autres comprennent l’intérêt architectural ou même touristique de leur bâti et se démènent pour le protéger.
Attendez, on a fait voter au Grand Conseil une série d’instruments de protection du patrimoine local, avec des notions de périmètres notamment. Pour rien?
La notion de «périmètre» est vague… À voir comment ce sera réellement appliqué. Le Canton attribue depuis peu des valeurs de site qui permettent de mieux protéger des notes 3 et 4 (ndlr: l’essentiel du bâti villageois ou urbain), ce qui est une bonne chose.
Et les architectes?
Disons-le franchement, il y a un problème de formation, dont les EPF sont coresponsables. L’étude de l’architecture régionale et de sa restauration devrait être un élément essentiel de l’enseignement! Mais on se retrouve trop souvent avec des projets de transformation dont le niveau est simplement mauvais: c’est le cas de nombreuses rénovations de fermes, malheureusement… À leur décharge, les maîtres d’ouvrage et la pression de la rentabilité sont aussi là. On leur demande de caser dix appartements dans un bâtiment historique qui devrait en contenir deux fois moins. Pareil pour les rénovations énergétiques. On voit un recours quasi systématique à des fenêtres en PVC et à de l’isolation périphérique en polystyrène comme s’il s’agissait d’une solution miracle. Où est la logique? Si nous renoncions à nous chauffer à 20 degrés en permanence, cela résoudrait bien des problèmes.
Justement. Avec des affaires comme celle des fenêtres de l’école de Valbroye, l’image des défenseurs du patrimoine, qui passent pour des pénibles, ne s’est pas améliorée…
Mis à part le fait que l’attitude de la Commune de Valbroye est une honte, notre association souffre effectivement d’un déficit d’image. Pourtant, sous ma présidence, nous avons organisé des dizaines de visites gratuites. On a ouvert le château de l’Aile à Vevey lors de l’opération Clou rouge en 2018 qui a attiré 2000 visiteurs. Notre siège à La Doges (ndlr: domaine dominant La Tour-de-Peilz) offre des visites de très bonne qualité. Mais notre image et celle du patrimoine sont en train de changer. Des jeunes architectes nous rejoignent. De plus en plus de citoyens sont préoccupés par ce qui se construit à côté de chez eux. Il faut reconstruire le lien qui s’est perdu avec la culture du bâti.
Comment ça?
La Suisse a des problèmes de riches. Plutôt que d’entretenir ce qui nous a été confié, on préfère raser et reconstruire à neuf. Le problème est là: arrêtons de démolir! On se retrouve avec des quantités industrielles de déchets de chantier. En fait, patrimoine et écologie sont deux notions indissociables.
Béatrice Lovis.
©Florian Cella/24H
Quel souvenir allez-vous garder des années Broulis?
C’était une période compliquée, avec des budgets insuffisants. Il a fallu que des pierres tombent la veille du Festival de la Cité et que Notre-Dame de Paris brûle pour que des crédits se débloquent tout à coup pour la cathédrale de Lausanne… Pascal Broulis avait néanmoins un réel sens de l’écoute, nous avons réussi à trouver des terrains d’entente.
Et vos réussites ou échecs personnels?
Notre association a connu des échecs parfois décourageants. Mais des victoires, nous en avons eu aussi, par exemple avec les curesque le Canton n’a finalement pas pu brader au plus offrant. Le forum sur la transition énergétique a été un succès l’an passé et a permis de mettre en relation plusieurs acteurs qui avaient jusqu’alors un peu de la peine à dialoguer.
Vos projets pour la suite?
Je reste au comité. Sinon, je vais enfin avoir du temps pour publier ma thèse et faire de la recherche.